En partenariat avec Orano, le CEA-List a miniaturisé à l’extrême les technologies de détection des rayonnements gamma. Résultat ? Une caméra poids-plume de quelques centimètres à peine, automatisée, qui visualise en quasi-temps réel les points chauds lors d’interventions en environnements irradiants.
Localiser rapidement des sources particulières de rayonnement gamma, appelées « points chauds », lors d’interventions dans des zones potentiellement radioactives, est un impératif pour protéger les opérateurs, suivre en temps réel l’efficacité de leur intervention ou préparer les interventions futures. C’est le cas, par exemple, sur l’installation nucléaire de La Hague, où le groupe Orano retraite le combustible utilisé dans les centrales nucléaires françaises. Ce travail sur un matériau hautement irradiant s’effectue dans des enceintes blindées, à l’intérieur desquelles personne ne peut pénétrer. Les opérations se pilotent à distance, à l’aide de bras téléopérés via des ouvertures d’un diamètre inférieur à 10 cm, qui permettent d’introduire les équipements.
Les « points chauds », où se concentre la radioactivité, sont repérés grâce à des caméras qui surimposent sur une image visible les sources émettrices gamma. Protégées par d’épaisses couches de plomb qui atténuent ces photons gamma, les caméras disponibles étaient jusque-là soit trop grosses pour être introduites par les ouvertures dans les enceintes blindées, soit trop lourdes pour être ensuite manipulées par les bras téléopérés.
Une première génération de caméra gamma numérique développée par le CEA-List, baptisée Cartogam, mesurait ainsi 40 cm pour une masse de 17 kg. Une seconde génération, de nouvelle technologie, Gampix, finalisée en 2010 et industrialisée sous le nom d’iPix par Mirion Technologies, avait limité l’encombrement à 18 cm pour 2 kg. Toujours trop grande pour les besoins d’Orano, qui s’est donc tourné une nouvelle fois vers le CEA-List pour développer une version plus miniaturisée de l’instrument.
Le défi du projet NanoPix s’énonçait simplement : concevoir une caméra d’une taille inférieure à 8 cm de diamètre pour se faufiler dans les trous d’endoscope des enceintes blindées de l’installation nucléaire de La Hague.
En 2018, le premier prototype, deux fois plus petit et dix fois plus léger que son aîné Gampix, a fait sensation en remportant le concours du World Nuclear Exhibition (WNE) dans la section Innovation. Plus petite caméra gamma à masque codé au monde, NanoPix faisait alors 268 g et se révélait efficace sur les sites de La Hague et de Marcoule.
Malgré la prouesse de miniaturisation, la caméra nécessitait trop de câbles, fonctionnant avec trois connectiques USB de 15 m de long.
Deuxième problème : la rotation du masque placé devant la caméra pour localiser la provenance des rayons (voir plus loin) devait se faire à la main. Un opérateur fixait le masque, retirait la caméra après la mesure, tournait le masque et remettait la caméra exactement au même endroit. Un processus fastidieux.
Troisième problème : la caméra juxtaposait trois logiciels différents, un pour la prise de vue en lumière visible, un autre pour la détection gamma et un dernier pour visualiser les résultats.
Une seconde version, fin 2019, a donc automatisé la rotation du masque grâce à un moteur piézoélectrique ultra-miniaturisé. Elle a remplacé les 3 câbles USB par un seul câble Ethernet, d’une portée de 200 m, en rapatriant dans la caméra les fonctions d’alimentation (désormais assurée par le câble Ethernet) et de communication. Le tout géré par un seul logiciel.
Certes, NanoPix a repris au passage un peu de poids, avec 412 g sur la balance. Mais les performances sont au rendez-vous :
Désormais autonome, la caméra peut s’embarquer sur un drone ou un robot d’intervention, construisant elle-même l’image finale grâce à sa propre intelligence embarquée.
Fort de ce succès, le CEA-List travaille déjà sur la prochaine génération. Elle pourra, en plus des rayonnements gamma, localiser les neutrons émis par des sources radioactives. Grâce à un polymère scintillant, sensible à la fois aux neutrons et aux rayonnements gamma, et capable de les discriminer. L’aventure NanoPix est donc loin d’être terminée.
de longueur
de hauteur
de largeur
son poids
Sa sensibilité de détection
*Sv : Sievert, unité de mesure du rayonnement gamma
Comment fonctionne une caméra gamma ? Comme son ancêtre Gampix, NanoPix utilise un détecteur gamma découpé en 256 x 256 pixels, chacun ayant sa propre électronique associée : chaque photon gamma qui interagit avec un pixel génère des électrons enregistrés comme signal électrique.
Pour déterminer d’où provient le photon incident, la caméra utilise comme collimateur un masque codé, une plaque percée de trous formant un motif. L’arrangement des différents trous module la détection des rayonnements gamma par les pixels, ceux passant par les trous n’étant pas atténués. Le masque tourne alors autour de son axe, créant à chaque rotation un nouveau motif de détection. Par itérations successives, le logiciel reconstruit la provenance du signal en s’appuyant sur une bibliothèque exhaustive de motifs préenregistrés en mémoire, caractéristiques de tous les angles possibles d’incidence. La richesse de cette cartothèque est telle qu’elle permet de discriminer plusieurs points chauds simultanément. Il restait à réduire l’encombrement à des niveaux dignes d’une horlogerie fine, avec des cartes électroniques disposées à moins d’un millimètre les unes des autres.
L’intérêt de cette caméra est que malgré sa petite taille, elle reste aussi efficace qu’une grande. Elle est capable d’apporter une dynamique de mesure qui s’étend de très faibles à très hautes activités.