Alors qu’il envahit nos vies et devient indispensable à bon nombre de nos activités, le numérique demeure une expérience peu satisfaisante pour les personnes souffrant de déficiences visuelles. Les aveugles et malvoyants accèdent, en effet, difficilement et de manière appauvrie, aux contenus numériques, notamment lorsque ces derniers incorporent des éléments visuels (images ou graphiques, par exemple). Les moyens de contournement, comme la retranscription par synthèse vocale, sont souvent rudimentaires(et peu ou pas accessibles aux personnes souffrant également de troubles auditifs) et faiblement interactifs.
Pour combler ce manque, les spécialistes en interfaces sensorielles et ambiantes du CEA-List ont conçu un écran à retour haptique innovant. Le dispositif permet de présenter des informations contextuelles, c’est-à-dire relatives à la position des doigts de l’utilisateur sur l’écran, sous forme de vibrations localisées. L’utilisateur les ressent lorsqu’il interagit ou explore la surface avec ses doigts. Le système est, par ailleurs, multipoint, c’est-à-dire qu’il peut répondre à la pression simultanée de plusieurs doigts sur la surface.
L’écran a été développé dans le cadre du projet européen Ability. Un prototype fonctionnel réalisé avec un écran Oled pour tablette de 10 pouces a été présenté récemment, montrant la faisabilité du système multisensoriel pour trois cas d’usage :
La tablette a été présentée à l’Embedded World Exhibition and Conference, à Nuremberg. La démonstration consistait à permettre à l’utilisateur de localiser les points d‘intérêt d’une carte en l’explorant avec les doigts. ©CEA
Le dispositif matériel consiste en une matrice d’actionneurs piézoélectriques collée derrière un écran pour tablette et couplée à ce dernier pour le faire vibrer.
L’innovation réside dans l’algorithme de pilotage de la matrice capable de localiser plusieurs stimuli simultanés et d’y répondre par des vibrations différentes localisées. L’algorithme, qui utilise la technique de filtrage inverse développée par le laboratoire, peut gérer jusqu’à dix doigts posés en même temps sur la surface et séparés d’au moins 15 mm.
Deux autres innovations découlent de cette technologie. La première consiste à utiliser la matrice pour émettre des vibrations sonores (à fréquence plus élevée) en complément des vibrations mécaniques, afin de produire un rendu véritablement multisensoriel. La capacité de l’algorithme à contrôler la directivité ou la position perçue d’une source audio promet d’enrichir l’expérience utilisateur.
La deuxième vise à rendre possibles des interactions sans contact avec l’écran. Cette fonction, en cours de prototypage, s’adresse à de nouveaux publics que celui des personnes malvoyantes, pour lesquels une interaction tactile est difficile ou peu pratique (habitacle de voiture, poste de travail en environnement industriel, handicap moteur, etc.).
Son principe est de capter et d’analyser la réflexion sur l’utilisateur d’un rayonnement à ultrasons émis par l’écran : la matrice piézoélectrique émet le rayonnement initial (à fréquences encore plus élevées que les ondes sonores) puis traite le signal réfléchi pour identifier et interpréter la gestuelle de l’utilisateur, avant de produire la réponse correspondant à cette dernière.
Le CEA-List travaille étroitement avec plusieurs partenaires du projet Ability pour perfectionner la technologie et ses usages :
La vocation du projet Horizon 2022-2025 Ability est de concevoir une solution portable complète pour résoudre les problèmes d’accessibilité des contenus numériques pour les personnes malvoyantes, y compris les sourds aveugles. Elle comprend la tablette multisensorielle développée par le CEA-List ainsi qu’un dispositif complémentaire d’affichage braille à picots.
Les équipes du CEA-List ont réalisé un démonstrateur de cet afficheur, également à base d’actionneurs piézoélectriques. À la différence des dispositifs équivalents du marché, la technologie du laboratoire repose sur un mécanisme novateur requérant moins d’actionneurs. Ce qui le rend plus économique pour une diffusion plus large.
Le projet Ability réunit sept partenaires aux côtés du CEA-List : un institut de recherche (OFFIS), un fabricant d’équipements pour malvoyants (Insidevision), deux associations d’utilisateurs finaux (le H-lab et le LASS), une université (ULUND) et deux industriels (Samsung et Siemens).
En savoir plus sur le Projet européen Ability
L’innovation principale de la technologie réside dans l’utilisation d’un même actionneur (la matrice piézoélectrique) pour différentes fonctionnalités de l’écran. Ce qui permet d’élargir le marché ciblé et de mieux répartir le coût additionnel lié à l’intégration de la technologie dans l’écran. Et, par là même, de proposer une solution pour améliorer l’accessibilité des contenus graphiques pour les publics malvoyants, fiable et à moindre coût.
Tout est parti de la technologie d’écran à retour haptique multipoint et localisé développée par notre laboratoire. Nous avons saisi l’opportunité d’un appel à projet européen sur l’accessibilité pour lequel nous pressentions que notre technologie serait adaptée pour constituer un consortium et nous lancer.
Nous sommes en train de finaliser la partie matérielle et d’y intégrer les couches logicielles pour rendre l’écran opérationnel. En 2025, nous lancerons une série d’études avec des utilisateurs pour identifier les meilleures stratégies haptiques à mettre en œuvre. Puis nous étudierons comment ajouter la modalité audio et créer de la complémentarité avec les fonctions haptiques afin d’aboutir à une tablette vraiment multisensorielle.